Les cancers du sein sont généralement considérés comme des cancers exclusivement féminins. Pourtant chaque année, en France, quelques centaines d’hommes sont concernés par cette maladie. S’ils bénéficient des progrès de la recherche clinique menée auprès des femmes, les hommes touchés par un cancer du sein doivent aussi faire face à certaines conséquences de la rareté. Comment cette maladie généralement réservée aux femmes est-elle prise en charge ? Eléments de réponse avec Barbara Pistilli, oncologue membre du comité de pathologie mammaire de Gustave Roussy.
Les différences entre un sein masculin et un sein féminin sont, sur le plan anatomique, relativement ténues. Mais alors que les cellules cancéreuses semblent avoir une terrible facilité à se développer dans un sein féminin – plus de 50 000 femmes sont touchées chaque année en France – les hommes sont globalement à l’abri de ce fléau. Globalement mais pas totalement : un peu moins d’1 % des cas de cancer du sein touchent des hommes. Que sait-on de ces cancers ? Quels sont les standards de prise en charge et comment les faire progresser ?
Certains facteurs de risque identifiés
Outre l’âge, premier facteur de risque (comme pour la très grande majorité des cancers), la composante héréditaire des cancers du sein masculins est relativement importante : 15 à 20% des cas seraient liés à une histoire familiale. Les mutations du gène BRCA2, associées depuis longtemps à un fort risque de cancer du sein et de l’ovaire chez les femmes, ainsi qu’à un risque de cancer de la prostate chez l’homme, sont notamment impliquées : pour un homme porteur d’une mutation de ce gène, le risque de développer un cancer du sein au cours de sa vie est estimé à 7 %.
Chez les hommes, plus de 9 cancers du sein sur 10 sont hormono-dépendants (la croissance des cellules cancéreuses est stimulée par les hormones sexuelles, œstrogènes, progestérone ou androgènes). Les déséquilibres hormonaux sont donc aussi impliqués dans le risque de survenue de ces cancers. L’obésité, une cirrhose hépatique, des anomalies testiculaires, la prise d’œstrogènes dans le cadre d’une démarche de changement de sexe, par exemple, sont ainsi des facteurs de risque, avérés ou suspectés, même si la quantification de leur impact est rendue difficile par la rareté de la maladie. Certaines populations à risque ont pu être identifiées par les rares données épidémiologiques disponibles : les patients touchés par le syndrome de Klinefelter1, notamment, chez qui le risque est multiplié par vingt, à cause des dérèglements hormonaux que connaissent ces personnes. Mais aussi les hommes ayant reçu des irradiations thoraciques pour un traitement antérieur de cancer par exemple. Enfin, les travailleurs des aciéries, des hauts fourneaux, ou de chaînes d’assemblage de moteurs, par exemple, semblent aussi présenter un risque accru de cancer du sein, potentiellement à cause des températures qui perturbent le fonctionnement testiculaire ou de l’exposition à des vapeurs d’essence.
Un diagnostic souvent retardé
La rareté et le caractère généralement indolore de la tumeur mammaire n’aident pas à imaginer qu’une masse ressentie, une rougeur, une anomalie de la texture de la peau puissent être les signes d’un cancer du sein. « Ce n’est surement rien », « ça va passer »… La consultation chez le généraliste attend. Quand il est consulté, celui-ci ne pense pas nécessairement à un cancer, tous ces signes pouvant être évocateurs d’autres atteintes plus fréquentes. Pour Barbara Pistilli, oncologue et membre du comité de pathologie mammaire de Gustave Roussy (Villejuif), ce retard au diagnostic pénalise les patients, qui doivent faire face à des cancers souvent plus avancés et donc à des traitements plus lourds.
Des traitements et un accompagnement à optimiser
Alors que ces dernières décennies ont vu augmenter la proportion de chirurgies conservatrices chez les femmes – la tumorectomie remplace la mastectomie pour 70 % des patientes opérées – elle ne concerne qu'un homme sur sept aujourd’hui (15 % environ). Au-delà de l’aspect esthétique, à prendre en compte, ces chirurgies radicales impliquent en particulier des risques bien plus élevés de douleurs qui peuvent avoir un réel impact sur la qualité de vie des patients à court, moyen ou long terme. Selon Barbara Pistilli, cet écart dans la pratique chirurgicale peut s’expliquer de deux façons : « chez les hommes, les tumeurs mammaires ont souvent eu le temps de s’étendre aux ganglions voisins, ce qui plaide en faveur d’une mastectomie. Par ailleurs, même lorsque la tumeur est peu étendue, les essais de chirurgie conservatrice n’ont jamais été réalisés chez les hommes, on fonde notre pratique sur l’expérience acquise chez les femmes. »
Cette extrapolation du standard thérapeutique est aussi l’usage en ce qui concerne la radiothérapie, la chimiothérapie et l’hormonothérapie. Pourtant certains résultats semblent indiquer que le recours aux chimiothérapies ne modifie pas le pronostic des patients. « Mais il ne s’agit que d’une étude de faible ampleur, rétrospective, qui n’a pas été reproduite », précise l’oncologue. Là encore, des essais dédiés pourraient trancher, mais la rareté des patients n’aide pas à les mettre en place. Même constat pour les signatures génétiques mises au point ces dernières années : ces tests génétiques qui prédisent le risque de récidive et, par conséquent, le bénéfice potentiel d’une chimiothérapie, ont été développés et testés dans une population féminine uniquement.
Si l’action des chimiothérapies semble moins concluante que chez les femmes, des bénéfices majeurs sont observés avec l’hormonothérapie et plus précisément avec le tamoxifène – seul médicament validé chez les hommes – généralement prescrit pour 5 ans. Si le bénéfice clinique semble clair, Barbara Pistilli s’intéresse, elle, au problème de l’adhésion à ce traitement. Selon elle, environ un homme sur quatre interromprait son hormonothérapie avant les cinq ans, à cause des effets secondaires qu’elle provoque. Principalement des bouffées de chaleur et une réduction de la libido. « Il est important de proposer un accompagnement spécifique à ces patients, principalement psychologique. Ils font face à ces problèmes qui, dans la conscience collective, sont associés aux femmes, ils se sentent très souvent isolés. Pour bien faire, cet isolement et les difficultés d’acceptation doivent être pris en compte dès le diagnostic ».
Une médecine de précision qui s’ouvre aux hommes
Aujourd’hui la prise en charge des cancers du sein progresse grâce à de nouvelles thérapies qui font l’objet de nombreux essais (notamment contre des cancers avancés ou métastatiques). Dans ce contexte, il est intéressant de noter que des hommes sont inclus dans les cohortes de patients et peuvent ainsi « prendre le train » des innovations en même temps que les femmes. L’une de ces thérapies, l’olaparib, est basée sur le blocage de mécanismes de réparation de l’ADN et a montré son efficacité chez les patients porteurs de mutations des gènes BRCA1/2, qui s’avèrent relativement fréquentes chez les hommes.
Cette évolution s’est accompagnée, par ailleurs, de la mise en place d’une grande cohorte internationale, seule capable de réunir suffisamment de patients pour réussir à mener des investigations solides. Les premiers résultats de cette initiative, portée par de multiples institutions de recherche clinique en cancérologie, ont été publiés il y a un an . L’analyse des cas qui continuent à être recensés doit permettre de mieux caractériser cette maladie à la fois trop commune chez les femmes et mal connue chez les hommes.
R. D.