mardi 23 août 2011

Dérégler l'horloge biologique serait cancérigène selon des spécialistes




Dérégler l'horloge biologique serait cancérigène selon des spécialistes 


Le 22  août 2011
MONTRÉAL - Déroger à notre horloge biologique met notre santé en danger. À l'instar des rayons UV et d'une panoplie de substances chimiques, le travail en horaire décalé est considéré comme un «agent potentiellement cancérogène pour l'homme» par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Par exemple, les infirmières de nuit et les agents de bord s'exposent à un risque accru de cancer du sein, de la prostate, de l'endomètre, du côlon et de certains lymphomes.
Le Dr Francis Lévi de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) en France a affirmé en entrevue au Devoir que les spécialistes détenaient la preuve du danger pour la santé.
«Nous sommes tout près de confirmer que c'est clairement cancérogène pour l'homme. Pour cette raison, le Danemark a décidé de rembourser les femmes atteintes de cancer du sein qui ont une histoire de travail [décalé] de plus de 10 ans.»
Le Devoir l'a rencontré dans le cadre d'un symposium canadien de recherche sur les rythmes circadiens qui avait lieu en juin dernier à l'Institut universitaire en santé mentale (IUSM) Douglas.
Les scientifiques ont aussi observé que les patients dont les rythmes biologiques circadiens (d'environ 24 heures) étaient perturbés _ comme c'est le cas chez les travailleurs de nuit _ voyaient leur tumeur cancéreuse évoluer plus rapidement que ceux qui vivaient en harmonie avec leurs rythmes internes.
Chaque être humain est doté d'une horloge biologique formée de deux petits pois, appelés noyaux suprachiasmatiques de l'hypothalamus, qui sont situés à la base du cerveau. Appétit, sommeil, hormones... cette horloge règle tout! «En fait, il existe des horloges circadiennes dans presque toutes les cellules du corps. Ça fait tic tac partout!», explique ce chercheur français qui oeuvre à l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif, en banlieue de Paris.
Et si, plutôt que de la subir, on se servait de cette horloge à notre avantage? Les scientifiques commencent à l'utiliser: ils se sont rendu compte qu'administrer une chimiothérapie à 4 h du matin est plus efficace, tout en réduisant les effets secondaires! Appelée chronothérapie, cette approche commence à faire des petits.
L'équipe du Dr Lévi a effectué une étude clinique auprès d'un groupe de patients atteints d'un cancer colorectal métastatique. Ils recevaient un médicament reconnu pour ses propriétés anticancéreuses de 22 h à 10 h, avec un pic à 4 h du matin. À cette heure, le médicament ciblait mieux les cellules malades en épargnant les cellules saines, réduisant du même coup les effets indésirables d'un tel traitement-choc.
La toxicité est apparue en moyenne cinq fois moins importante en chronothérapie que lors d'une perfusion constante. «Et si le pic de perfusion survenait à 16 h au lieu de 4 h du matin, le médicament redevenait aussi toxique que lors d'une perfusion constante», ajoute le chercheur français.
Selon lui, cette différence s'explique par le fait que, à 4 h du matin, moins de cellules saines sont sensibles au médicament. Elles «dorment», d'une certaine manière. En effet, c'est à cette heure que la synthèse d'ADN est à son plus bas... sauf dans les cellules cancéreuses, qui se reproduisent sans cesse: leur horloge est totalement déréglée.
«Si on donne le médicament à 4 h, on est donc moins toxique, on épargne plus de cellules saines, explique le spécialiste. L'autre aspect est que les cellules saines sont elles-mêmes capables de détoxifier l'organisme. Si on les épargne, elles seront donc plus nombreuses pour éliminer le médicament de l'organisme. Ce sont divers mécanismes qui sont coordonnés et qui aboutissent à cette plus grande tolérance à la chimiothérapie.»
«Quand les substances anticancéreuses sont mieux tolérées, elles sont aussi plus efficaces. Les deux vont généralement de pair», poursuit le chercheur tout en affirmant qu'on observe souvent un doublement de l'efficacité de la chimiothérapie lorsqu'elle est administrée en chronothérapie.
La toxicité de la chimiothérapie en administration traditionnelle provoque probablement une destruction du système circadien, croit le Dr Lévi. «Si le médicament est toxique pour toutes les cellules, on a un moindre contrôle de la tumeur par les cellules saines de l'organisme qui contiennent des horloges circadiennes. C'est assez surprenant, car, en cancérologie, on dit habituellement que plus on est toxique, plus on est efficace. Avec la chronothérapie, moins on est toxique, plus on est efficace. En fait, il faut éviter la destruction des horloges circadiennes pour être le plus efficace possible contre la tumeur», explique-t-il.
Dans les diverses études cliniques effectuées jusqu'à présent, l'amélioration de la tolérance et de l'efficacité des médicaments anticancéreux en chronothérapie ne survenait toutefois que chez les hommes. «Je crois simplement que, chez les femmes, on n'a pas trouvé le bon chemin», constate le Dr Lévi, tout en faisant remarquer que la chronotolérance et la chronoefficacité ont d'abord été explorées chez des souris mâles avant d'être utilisées chez les patients «avec l'idée qu'on est tous égaux, pareils».
«Par le chemin élaboré lors de nos études expérimentales chez la souris mâle, on a trouvé que la filiation de la souris à l'humain se faisait très bien chez les hommes, mais que, chez les femmes, ce n'est pas le même chemin. Pourtant, la souris femelle a aussi, comme la souris mâle, des rythmes très importants de toxicité, mais on a trouvé un décalage de quatre à six heures dans l'heure optimale d'administration pour un même produit entre la souris mâle et la souris femelle», précise-t-il.
Selon le chercheur de l'INSERM, deux facteurs expliqueraient pourquoi la chronothérapie s'est jusqu'à maintenant avérée inefficace chez la femme. D'une part, l'heure optimale d'administration diffère chez l'homme et la femme. D'autre part, la dose optimale serait très différente. «Quand on donne la même dose aux hommes et aux femmes, on a environ 25 pour cent de toxicité de plus chez les femmes que chez les hommes. Et quand la toxicité est plus élevée, il y a destruction des horloges circadiennes.»
En France, l'équipe du Dr Lévi a mis au point des systèmes non invasifs permettant de mesurer les rythmes individuels tels que le rythme d'activité-repos des patients, qui est un bon marqueur du rythme circadien, et celui de la température corporelle. «On obtient ainsi un suivi personnalisé des rythmes circadiens de chaque patient, ce qui permet de déterminer les horaires de chronothérapie les mieux adaptés à chaque individu.»
Dans le monde, il existe à l'heure actuelle une trentaine de centres médicaux qui proposent la chronothérapie à des patients atteints de cancers du pancréas, du poumon, du sein ou colorectal. (Le Devoir)

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