Glissement de tâches : une réalité cachée
Une aide-soignante qui fait la tournée des anticoagulants, une infirmière qui donne un antalgique non prescrit : juridiquement, ces actes relèvent de l’exercice illégal d’une profession. Pourtant, ces pratiques seraient habituelles dans certains établissements. En cas de problème, directions et soignants se renvoient la responsabilité.
Des données inaccessibles
Parmi les experts judicaires, les syndicats ou encore les directeurs de soins interviewés, aucune personne n’a su donner des chiffres ou des données sur ce que l’on appelle maladroitement le « glissement de tâches* ».
Et pour cause. Ce genre d’actes est dénoncé uniquement lorsqu’il a pour conséquence un problème grave ou qu’il y a eu dépôt de plainte auprès d’un tribunal. Un des cas les plus médiatisés remonte à 1999 : l’affaire « Trousseau ».
De nuit, un enfant de deux ans est pris en charge par une aide-soignante, seule à assurer la surveillance de l’unité de soins. Ses deux collègues infirmières étant affectées sur deux autres unités. L’enfant décède des suites d’une anoxie cérébrale prolongée. L’aide-soignante n’avait pas su repérer que l’enfant s’était déperfusé, ni prendre les mesures appropriées relatives à son état général.
De la surveillance au soin, il n’y a qu’une étape. « Un soir, j’ai pris mon poste à 20h. La cadre m’a alors annoncé que je serais seule jusqu’à 23h et qu’il faudrait que je me débrouille sans infirmière », explique Anne, étudiante en soins infirmiers qui effectue régulièrement des gardes d’aide-soignante. « Elle savait que je savais faire les injections et les perfusions . Elle a assuré pouvoir me couvrir en cas de problème ».
Inexact, d’après la loi. « Aucun soignant n’est censé ignorer les limites de son champ de compétence. Cette étudiante est donc responsable pénalement de ses actes. Personne ne peut s’autoriser à aller au-delà des textes réglementaires. Pas même un médecin ou un cadre. Malheureusement, certaines pratiques anciennes sont restées dans les habitudes» commente Ljiljana Jovic, conseillère technique de l’agence régionale de santé de l’Ile de France.
Une responsabilité partagée
D’après l’article L. 4314-4 du code pénal, toute personne effectuant des actes infirmiers sans être diplômée est passible de 3 750 euros d’amende, et en cas de récidive de 5 mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
Selon les circonstances, les torts pourraient être partagés avec d’autres membres du personnel et la hiérarchie. C’est pour cela que les juges font appel à des experts judiciaires. « Nous sommes là pour situer l’acte dans son contexte, comprendre les responsabilités de chacun », explique Marylène Guingouain, directrice des soins et expert judicaire.
La surcharge de travail, le manque de personnel, l’envie d’aider, sont souvent mis en avant par la défense. En effet, rares sont ceux qui effectuent des actes illégaux par réel choix personnel. « Il y a eu des cas d’aides-soignantes qui plâtraient aux urgences, car cela figurait dans leurs fiches de poste. C’était écrit et protocolé, mais bien sûr, illégal », explique Thierry Amouroux , secrétaire général du Syndicat National des Professionnels Infirmiers.
Ces affaires ont donc débouché sur des condamnations à tous les niveaux. « Souvent les directions ont la volonté de faire au moins coûtant, donc au dépend et des patients et des salariés » souligne-t-il. Car les conséquences d’un glissement de tâches sur le personnel, sinon pénales, peuvent aussi être d’ordre sanitaire.
En février, le Centre hospitalier de Saint-Gaudens (Haute-Garonne) a été jugé responsable de la lombosciatalgie d’une ASH, provoquée par un déshabillage d’une patiente. L’agent effectuait cet acte régulièrement dans le cadre d’une mission programmée par l’employeur.
Les solutions
Si tout le monde est unanime sur le fait qu’il faille absolument refuser d’effectuer des actes ne relevant pas de ses fonctions, chacun se renvoie la responsabilité et trouve des solutions différentes. Pour Thierry Amouroux, il faut « responsabiliser les directions et revoir l’organisation des services ». Pour Ljiljana Jovic, les soignants sont responsables et « ne connaissent pas suffisamment la réglementation ».
Seule proposition objective et alternative dans ce cas : la formation du personnel. « Le but serait de leur rappeler les risques juridiques et leur apprendre à faire abstraction de l’affect dans certaines situations, pour qu’ils sachent décliner une telle demande » explique Laurence Venchiarutti, expert infirmier, consultante et formatrice.
Malika Surbled
http://www.actusoins.com
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